Le blog de maitresseroxanne
“Cinquante Nuances de Grey”, pourquoi un tel succès ?
SOMMAIRE DE L'ARTICLE
1. L'histoire
2. La trilogie fait des petits
3. C’est Harlequin version moderne
4. Un réel stimulateur de libido
5. Fantasme ou passage à l’acte ?
L’histoire est en elle-même étonnante, et bien de notre époque, puisque Fifty Shades of Grey (titre original), roman écrit par la Britannique E. L. James, s’est d’abord fait connaître par autopublication sur son blog Internet. C’est une fois devenu célèbre grâce au bouche-à-oreille et aux réseaux sociaux qu’il est édité, en juin 2011 aux Etats-Unis et en octobre 2012 chez JC Lattès pour sa version française.
Que raconte ce gentil brûlot ? L’éducation sexuelle et sentimentale d’Anastasia Steele, jeune étudiante de 21 ans maladroite et vierge, par Christian Grey, riche entrepreneur de 27 ans qui aime manier le fouet et la domination. Même s’il n’est pas désagréable à lire, le roman ne se distingue pas par de réelles qualités littéraires, ni par une psychologie particulièrement fouillée des personnages. Pourtant, il s’en est déjà vendu plus de 50 millions d’exemplaires dans le monde ! Comment expliquer un tel triomphe ?
Non seulement c’est devenu « le livre dont tout le monde parle » et qu’il faut avoir lu, mais son succès a aiguisé des appétits qui surfent sur la vague. Ainsi, la très respectable maison Larousse publiait, dès novembre dernier, 50 Nuances du plaisir, un guide d’éducation sexuelle traduit de l’américain expliquant les différentes positions évoquées dans le livre original. Même réactivité chez Contre-Dires, qui sortait 50 Nuances BDSM. Pour les gens bien… comme vous !, et chez First, avec le Décodeur (non officiel) de Cinquante Nuances de Grey. Présenté sous la forme d’un dictionnaire (allant d’Accessoires à Zones érogènes en passant par Fessée), il propose en outre vingt jeux sensuels classés en fonction de leur piquant (de l’usage du plumeau à la bonne pratique de la sodomie). La liste n’est pas close.
Et le filon donne aussi lieu à de nombreux pastiches : Fifty Shames of Earl Grey (en référence au thé que boit l’héroïne) pas encore traduit, Cinquante Nuisances de Glauque par Aloysius Chabossot (sur Kindle) ou encore Quarante-neuf Nuances de Loulou, de Rossella Calabro.
Tout le monde veut sa part du gâteau. Mais pourquoi y a-t-il une telle galette à se partager ? Le talent commercial de E. L. James y a contribué. Le lancement du livre était déjà accompagné d’une bande originale, compilation des morceaux de musique classique cités dans les trois volumes. Et la romancière a travaillé avec un fabricant de sex-toys qui commercialise une gamme d’accessoires coquins sous licence, d’après ceux mentionnés dans le roman ; une adaptation cinématographique serait également en projet. N’empêche, tant d’efforts doivent aussi rencontrer un public.
La vague Cinquante Nuances de Grey atteste-t-elle d’une libération des femmes, qui deviendraient de plus en plus adeptes, comme les hommes, de pornographie ? Oui et non.
« Le roman contient certes des scènes pornographiques, mais il déroule une vraie romance autour et raconte avant tout une relation affective, amoureuse et passionnée. C’est cet enrobage qui permet aux femmes d’aller dans l’érotique fort, là où d’autres ouvrages pourtant moins audacieux les auraient mises mal à l’aise »
Le schéma de base a plutôt de quoi faire bondir les féministes. Il reprend tous les clichés du conte de fées : le prince charmant (forcément séduisant, mystérieux et milliardaire !) et la jeune femme plutôt oie blanche et soumise. Anastasia apporte disponibilité sexuelle et vie affective, en échange Christian Grey offre initiation érotique et sécurité : rien de bien moderne !
Barbara Cartland a, elle aussi, vendu des millions d’ouvrages. Et si les romans à l’eau de rose s’arrêtaient à son époque au premier baiser, il y a belle lurette qu’ils ont mené jusqu`au bord du lit, puis inclus plusieurs nuits d’amour assez explicites. Le lectorat semble bien le même. Ce qui explique qu’on ait affublé Cinquante Nuances de Grey du titre de « porno pour maman » (outre qu’il était écrit par une femme de 49 ans). En somme, un banal Arlequin en version un peu plus pimentée, notamment parce qu’il se réfère aux pratiques sadomasochistes.
Car s’il reste une qualité indiscutable du roman, c’est bien celle-ci : il déclenche l’excitation sexuelle féminine et contribue à réveiller la libido dans pas mal de couples. Il témoigne ainsi d’une vraie évolution de la sexualité féminine, désormais plus ouverte aux explorations.
Dans de nombreuses villes, les après-midi Tupperware ont fait place aux réunions de groupe pour choisir son sex-toy et acheter de la lingerie osée. Les Françaises ont élargi leur répertoire sexuel, comme en témoignent de nombreux sondages, et les pratiques sadomasochistes ne sont plus considérées comme une forme de perversion, mais comme une simple variation. « Tout en demeurant “raisonnablement transgressives”. On peut considérer le succès de ce livre comme un signe fort de revendication du désir féminin. Les femmes s’autorisent à braver des interdits et à en jouir et, ce faisant, assument leur érotisme comme faisant partie d’elles. »
La femme-objet totalement soumise à un homme renvoie à l’un des fantasmes féminins primaires. Mais les lectrices sont-elles vraiment tentées d’essayer ensuite les pratiques douloureuses ? Une part d’entre elles, incontestablement, entend au moins les mimer : les ventes d’accessoires en ligne ont, pour la première fois, connu des ruptures de stock pour les menottes ; quant aux achats de boules de geisha, ils ont grimpé en flèche. Le livre stimule donc les amatrices de jeux susceptibles de pimenter le quotidien.
Mais il se contente sans doute plus souvent d’être un agitateur de fantasmes, et celles dont il réveille ainsi la libido en profitent peut-être encore plus. « Espérons que la récupération commerciale à outrance n’instaurera pas un nouveau conformisme qui tuerait ce côté libératoire »
Ven 26 jui 2013
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